Les tas de voleurs
Par Adib Y. TOHMÉ
Publié à l’Orient le Jour le 11 mai 2012

Il débarque dans ta vie tu ne sais pas comment. Tu lui ouvres tes portes. Tu crois que c’est ton ami. Il te fait croire qu’il te rend de menus services. Et c’est vrai qu’il le fait, mais à un coût élevé. Puis il commence à te voler. Il le fait d’abord discrètement, pour que tu ne t’en rendes pas compte. Il prend au début peu de choses, parce qu’il a peur, il veut tâter le terrain. Puis il y prend goût, mais tu ne remarques rien, parce que tu es gentil et que tu crois en la bonté d’autrui. Le voleur s’habitue peu à peu à profiter de ce qu’il te vole. Il prend de plus en plus de risques, car c’est difficile de revenir en arrière une fois qu’on a découvert ce que c’est de vivre avec les moyens des autres. Le voleur découvre qu’il peut voler en toute impunité. Sa vigilance se relâche et il rafle tout ce qu’il trouve chaque fois qu’il entre chez toi. Et toi, tu ne remarques toujours rien, car tu crois que le vol entre amis n’existe pas. Tu lui donnes ta confiance. Il prend un mandat pour te représenter. Il tisse sa toile autour de toi et te donne l’impression qu’il t’est devenu indispensable. Le jour arrive cependant où le voleur devient insolent et impoli. Il te fait comprendre que tu n’es rien sans lui. Tu te rends alors compte que tu n’as plus rien, que tu n’es plus rien. Il t’a dépouillé de tout. De ta substance d’être humain, de ton humanité, de ton individualité. Il te donne alors un peu mais prend beaucoup. Il achète ta voix par une faveur. Il te dépouille de ton droit de citoyen pour te gratifier du petit peu de ce qu’il t’a pris. Tu découvres alors son crime mais tu joues son jeu. Tu votes pour lui pour obtenir ce que le droit, qu’il t’a d’ailleurs confisqué, ne te donne pas. Ou tu ne participes pas. Tu considères qu’un voleur que tu connai
s est nécessairement meilleur que des voleurs que tu ne connais pas. Tu penses que le système ne peut engendrer que des voleurs. Et les voleurs, parce que tu es absent, s’organisent entre eux pour s’accaparer le pouvoir et se partager le butin. Ils te font croire que l’État ne peut pas être présent. Mais en fait l’absence de l’État, c’est ton indifférence, ta résignation et ton fatalisme. Parce que l’État n’est autre que toi quand tu décides de faire prévaloir ton droit. Quand tu décides de dire au voleur : Ça suffit, j’ai découvert ton crime et je veux agir pour reprendre mon droit. Et le droit ne se trouve ni dans la violence des armes ni dans celle de l’argent. Il se trouve dans la mobilisation de tous ceux que les voleurs ne représentent pas pour l’édification d’un État qui a le monopole des armes et de l’argent.