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R comme révolutions, rêves et rien

Par Adib Y. TOHMÉ

OLJ

Article paru le

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07/04/2011

À une amie tunisienne qui me demandait ce qui se passe chez nous avec toutes ces révolutions dans le monde arabe, j'ai répondu : « Rien. » Rien ne se passe chez nous. Nous sommes à l'abri des révolutions et des crises. Chez nous, c'est différent : insécurité, chômage, santé, érosion du pouvoir d'achat, école inégalitaire, salaires indécents, émigration, injustice, corruption, inégalités, pauvreté, classe de profiteurs partout, verrouillage des médias, oligarchie et communautarisme, confiscation du droit à la parole, achat des votes... Rien pour nous battre pour ou contre. Rien pour donner envie d'une alternative. Et puis se révolter contre qui ? Contre rien, contre le vide...

Le monde bouge. Nous bougeons à notre propre rythme, enfermés dans nos bulles étanches et nous passons à côté. « Comme d'habitude », nous nous répétons, comme pour nous déculpabiliser. « Nous savons que ça ne va mener nulle part, ces révolutions », nous répétons aux autres, avec cet air de fausse modestie de ceux qui croient tout savoir. Les révolutions, chez nous, ça ne dure qu'un jour, avant que ça ne se transforme en parodies de révolutions, avant qu'elles ne soient accaparées par les briseurs de rêves.

Ça ne va mener nulle part, mais nulle part, ce n'est pas déjà meilleur que cet endroit-là, ce présent sans issues et sans perspectives ? Là où on ne voit qu'une impasse, pourquoi ne pas essayer de déceler un tournant ? Parce que c'est d'un tournant historique dont il s'agit. Un rêve, même impossible n'est-il pas mieux que l'absence de rêves ? À la fin que voulons-nous ? Vivre la vie parce que c'est la vie et il faut la vivre en tuant nos sentiments parce que nous avons peur ? C'est donc de la peur dont il s'agit ? Peur de quoi, de qui ? Esquiver tout ce qui a de mieux, tout ce qui nous tire vers le haut, tout ce qui a du sens parce que nous avons peur ? Avec nos fausses certitudes, avec la platitude de nos âmes et la superficialité de nos interactions, que voulons-nous? Tromper notre peur, maquiller l'ennui ? Parce que nous nous persuadons que c'est notre destin et nous ne pouvons plus rien faire ?

Parce que nous avons peur de notre peur qu'on ne se révolte pas ? Mais se révolter contre qui ? Contre quelque chose qui n'existe pas ? Contre le vide ? Que voulons-nous ? Que nous proposent-ils ? De fausses réformes, une fausse démocratie, pour masquer une vraie dictature ; une dictature de dictateurs... Là où on a espéré une rupture, on a reçu en pleine figure la continuité du vide, en plus profond...

Que nous offrent-ils, tous ces pantins qui nous gouvernent et qui se chamaillent pour se partager notre avenir ? Des promesses ? Un réconfort ? Une assurance contre la peur ? Rien. Ils ne nous offrent rien. Seulement une réalité insupportable et l'absence de rêve. Et nous nous croyons différents des autres, meilleurs que les autres, enfermés dans nos bulles étanches nous passons à côté. Travail, salaire, santé, sécurité sûreté, transport, école, université, eau, électricité, communication, infrastructures... tout ce qui rend notre réalité indécente est omniprésent par son absence et par son coût démultiplié, et, en plus, on nous empêche de rêver, on nous occupe avec des querelles, dans les médias qu'ils ont confisqués et verrouillés... et sur Internet comme sur Facebook qui est devenu le prolongement et le reflet de leur indigence. On nous brûle de l'intérieur, on nous vide. Le bruit qu'ils font, le tapage qu'ils font, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui n'ont rien à dire et qui pourtant placent des humeurs qui sont censées choquer, scandaliser, allumer le débat. On aime, on partage ou on zappe, on devient ami, fan, membre ou on casse. Et puis quoi ? Nous passons notre temps à creuser dans le vide, à flirter avec le vide, parce que nous avons peur. Nous savons par intermittence que ce n'est pas ce que nous voulons, mais nous nous laissons faire parce que nous sommes abasourdis par le bruit, envahis par le vide. On nous occupe le cerveau avec tout ce bruit qui n'est que du vide, qui n'est que la pire forme de l'ennui. Et cet ennui nous vole à nous-mêmes, nous changeons notre forme, c'est notre seul privilège, le seul changement que nous avons le courage de faire, pour devenir quoi Des représentants de notre image, des marchands d'images truquées. Et nous léguerons à nos enfants ce vide que nous avons pris soin de bien faire grandir. Au fond, nous vivons dans une triche perpétuelle, de génération en génération, et c'est pour cela que nous passerons à côté, comme habitude.

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